A la suite d'une réforme ultra-libérale proposée par le gouvernement Berlusconi et votée en Aout, et qui prévoit un processus de privatisation sans précédent en Europe, l'Italie se mobilise et s'organise, demandant le retrait de la loi. Après 2 mois de protestations, j'ai décidé d'écrire cet article pour témoigner de la situation italienne une fois de plus. En effet, la situation politique est très différente de la situation française, et les italiens se trouvent face à de nombreuses barrières pour organiser ce combat politique. Des partis de gauche faibles et disparus de la scène politique, des syndicats inexistants, des médias qui désinforment, lutter pour sauver nos services publics est ici difficile. Les raisons sont historiques et culturelles, je cherche aujourd'hui à expliquer non seulement la situation, mais aussi les raisons de ces problèmes dans ce pays peu démocratique.
Pour commencer, revenons à la réforme. La loi 133/08 proposée par le ministre Tremonti et votée au parlement début Aout prévoit de retirer les fonds publics pour de nombreux secteurs d'ici 2010. C'est l'université publique qui est la plus à risque. D'ici 2010, les fonds dédiés aux universités, et à la recherche diminueront de moitié (l'Italie ne consacre que 3% de son PIB à l'éducation et à la recherche, les chiffres sont déjà bas par rapport au reste de l'Europe), et la loi 133 prévoit que les universités fassent recours à des fonds privés si nécessaire. Plus précisément, la loi prévoit que les universités publiques se transforment peu à peu en Fondations Universitaires. Cette loi fera en sorte que ce seront les grands groupes financiers qui géreront les différentes universités. Le droit à l'instruction ne sera donc plus garanti par l'État, les études supérieures deviendront un marché commercial, l'accès aux universités sera limité, et les coûts exubérants. Pour ce qui est de la qualité du service, chaque investisseur pourra imposer aux universités les programmes d'études, et les jeunes italiens devront étudier ce que des grands patrons auront décider. Il est inutile de préciser que les facultés de Philosophie, Lettres et autres sciences humaines risquent d'être marginalisées. Quels sont les groupes privés qui investiront pour ce type d'études? La culture ne fait certainement pas parti de leurs intérêts.
La même loi 133/08 impose aux communes d'Italie de mettre sur le marché la distribution de l'eau. Rappelons que les villes de New York, Amsterdam, Bruxelles, et désormais Paris ont décidé au contraire de municipalisé ce secteur pour protéger ce bien fondamental des marchés financiers.
Pour comprendre maintenant les difficultés de la lutte contre cette réforme, avant toute chose, rappelons un peu la situation politique de l'Italie. Actuellement le gouvernement Berlusconi est composé d'un parti qui se dit libéral (Popolo della Libertà- Le Peuple de la libérté), un parti ex-fasciste (Alleanza Nazionale- Alliance Nationale), un parti fédéraliste xénophobe (Lega Nord- Ligue du Nord). A l'opposition, au parlement, il n'y a plus que deux partis, le parti du magistrat Di Pietro (l'Italia dei valori), un parti libéral qui se dit de gauche, et le Partito Democratico qui est composé d'ex membres du PCI, du PSI, et de la DC (démocratie chrétienne). Les partis communistes italiens ne sont plus du tout représentés au parlement. En deux mots, la gauche italienne est morte et enterrée. Les deux partis de l'opposition ont voté la 133, ultra-libérale.
Le résultat a été que ni la gauche parlementaire, ni la gauche extra-parlementaire, ni les syndicats, ni même les médias n'ont dénoncé cette loi qui détruit définitivement les services publics en Italie, et pas n'importe lesquels, Instruction, Service de distribution de l'eau, mais aussi transports et autres.
Les protestations contre la 133/08 sont venues directement des universités. Des collectifs politiques indépendants (affiliés à aucun syndicat, aucun parti) ont commencé à dénoncer cette loi inconnue de tous. En 15 jours, la nouvelle s'est diffusée en Italie par les universités (et non pas grâce à la presse), et les partis politiques et syndicats ne se sont pas exprimés avant fin Octobre. A la télévision, on n'a encore assisté à quasiment aucun débat, dans les journaux, on ne parle que très peu de la loi.
Les syndicats italiens, CGIL et autres ont commencés à se mobiliser contre la loi 133 début Novembre, sans aider d'aucune façon les étudiants à s'organiser. Et début Novembre, la seule position de la gauche italienne (les partis) a été celle de demander un référendum. Rappelons que le Parti Démocrate a voté cette loi, et que les autres partis de gauche comme Rifondazione Comunista (refondation communiste) qui n'est même plus représentée au parlement et aurait pu profiter de l'occasion pour se relancer sur la scène politique n'a pas fait non plus la moindre forme d'opposition. Le comble est que selon la constitution italienne, un référendum sur une question financière ne peut même pas se faire en Italie, la proposition des partis de gauche n'est donc même pas applicable. Aucun d'entre eux n'a demandé le retrait de la loi.
Le résultat, c'est que les services publics italiens et surtout les universités ne sont actuellement défendus que par les étudiants qui font depuis deux mois la seule vraie opposition à cette loi, à ce gouvernement. Les étudiants, pour organiser ce mouvement de protestation doivent partir de zéro, l'Italie n'a pas connu de lutte aussi massive depuis 1968, les étudiants doivent s'auto-financer pour toutes leurs activités, faire une campagne d'information sur la loi, organiser les manifestations, etc...
Les professeurs, même ceux qui nous soutiennent ne font pas grève. Le seul moyen de bloquer les cours, c'est d'occuper les universités jour et nuit et de ne plus permettre leur fonctionnement normal. Pendant prés de deux mois, les universités ont étés bloqués. Seulement cette semaine, maintenant que des comités de citoyens, et des petits syndicats commencent à collaborer pour de nouvelles formes de luttes, de nombreuses universités ont étés réouvertes, mais sont toujours occupées par les étudiants.
Dans chaque ville, les universités se sont organisées. Chaque semaine, entre étudiants, on fait des réunions de faculté, et des réunions inter-facultés dans les grandes villes pour faire prendre forme à cette lutte, et écrire une contre-réforme à proposer au gouvernement (même si on sait bien qu'elle ne sera pas appliquée). Des débats, des conférences avec des économistes, professeurs, travailleurs, militants sont organisés régulièrement. Des groupes de travail se sont créés, je cherche moi-même à collaborer le plus possible, expliquant le fonctionnement de l'Université française et les aides de l'État pour les étudiants (qu'en Italie, on ne peut que rêver), pour donner un modèle possible, pour écrire la contre réforme. Je cherche aussi à faire le maximum pour l'organisation des protestations en général. Jusqu'à maintenant j'ai surtout participer à la campagne d'information sur la loi 133/08, et j'ai cherché avec d'autres étudiants à faire participer le plus possible travailleurs, comités de citoyens, etc... simplement parce que seuls, les étudiants ne pourront pas gagner ce combat! J'ai organisé entre autre une conférence sur la privatisation de l'eau, pour collaborer avec les différentes association de défense de l'eau publique à Naples, et faire en sorte qu'ils soient présents aux prochaines manifestations pour faire comprendre aux gens que la loi 133 n'est pas une simple réforme de l'Université comme beaucoup d'italiens croient encore aujourd'hui, mais concerne de nombreux secteurs publics.
Mais le problème, c'est qu'avec toutes ces lacunes, de choses concrètes en vue des protestation, en deux mois, on en a fait bien peu. On a fait 3 manifestations à Naples, avec 30 000 personnes le 7 Novembre, demain on fera la quatrième, et 2 manifestations nationales à Rome. Les 15 et 16 Novembre, des étudiants de toute l'Italie sont restés deux jours à l'université La Sapienza de Rome pour écrire un premier document en vue de la contre réforme.
Mais cette lutte, qui devrait être populaire, et à laquelle devrait participer toute la gauche italienne, est encore surtout une lutte étudiante. En France, avec une réforme de ce genre, non seulement les étudiants, mais aussi les syndicats, les partis de l'opposition et de nombreux citoyens auraient déjà bloqué le pays. Un vrai débat politique entre membres du gouvernement et opposition se ferait quotidiennement.
En Italie, les médias et la presse sont en grande partie directement ou indirectement aux mains du gouvernement, et la gauche n'a jamais été aussi inexistante.
L'Italie est un pays où le peuple a eu très peu de victoires durant le XXéme siècle, pour ce qui est des luttes sociales. Après la seconde guerre mondiale, l'Italie n'a pas su faire les comptes avec son passé fasciste, le parti Chrétien a gouverné jusqu'en 1993. La mafia et la corruption n'ont jamais cessé d'exister. En 1993, l'opération Mains Propres, et les actions de la magistrature dans la lutte anti-corruption et anti-mafia auraient pu être l'occasion d'un grand changement; mais au contraire, à part Craxi (premier ministre italien dans les années 80 et grand ami de Berlusconi), personne n'a payé. Les partis politiques se sont dissous et reformés (avec les mêmes hommes politiques). Ces années ont aussi été marqués par la mort du PCI (Partito Comunista Italiano), créé en 1924, et qui dans les années 70 faisait plus de 30% en Italie. En ces années 90, Silvio Berlusconi commence sa carrière politique et gagne les élections en 1994 avec son nouveau parti Forza Italia...
Le résultat, c'est que la situation n'a pas changé, elle a peut-être même empirée, étant donné que Berlusconi détient la quasi majorité des médias.
Tout ça pour dire, qu'avec l'histoire d'Italie du Xxème siécle, le peuple italien est un peuple qui a perdu la confiance en la politique en générale, et ne croit pas en la possibilité de changer les choses, les jeunes générations se retrouvent dans une situation où elles doivent reconstruire la gauche en partant de la base, en partant du peuple.
Il y a en France une couverture sociale qui n'a jamais existé en Italie, et un passé avec de grandes victoires sociales. Même si la France et l'Italie sont les pays d'Europe qui ont eu la plus grande tradition de gauche, avec des partis socialistes et communistes forts déjà entre les deux guerres mondiales; l'Italie n'a jamais eu de gouvernement vraiment de gauche. Elle a connu le fascisme, quand en 1936 la France connaissait ses premiers avantages sociaux avec le Front Populaire (semaine de 40h, congés payés entre autre), et la gauche italienne a eu pendant 50 ans ensuite, comme premier opposant un parti chrétien. Rappelons que le Vatican a en Italie une influence énorme sur la politique. En France, l'école publique devient laïque déjà à la fin du XIXéme siècle avec Jules Ferry, et en 1905 l'État et l'église sont séparés. Chose jamais vraiment faite en Italie. La forte corruption de la classe politique et la mafia ne sont que des barrières en plus, qui font qu'en Italie, la démocratie est encore à conquérir.
Beaucoup de gens de gauche, en Italie, même avec une conscience politique forte, ont perdu la confiance en la politique, en la gauche italienne, en les syndicats. Beaucoup ont baissé les bras, parce qu'ils ne se sentent plus représentés, et se sentent trahis par une gauche qui depuis bien longtemps a accepté le libéralisme, abandonné les discours de gauche, ne cherche plus à lutter contre les organisations mafieuses et la corruption.
La classe politique italienne est à changer entièrement. Désormais l'opposition réélle à la corruption, la mafia et aux magouilles de Berlusconi et ses amis, ce sont Sabrina Guzzanti (comique), Beppe Grillo (comique), Fabrizio Lutazzi (comique licencié du groupe télévisé RAI sur demande de Berlusconi en 2001 suite à une émission où il l'avait critiqué), Marco Travaglio et Michele Santoro (journalistes). Ceux sont eux, les personnages publics qui aujourd'hui font l'opposition en Italie et dénoncent le manque de démocratie et l'Etat mafieux. Jusqu'à l'an dernier on pouvait ajouter Enzo Biagi, journaliste, présentateur du Journal Télévisé de RAI1 pendant des années, qui fut licencié lui aussi en 2001 sur demande de Berlusconi avec Lutazzi et Santoro, il est décédé en 2007. (les licenciements de ces journalistes peuvent faire penser à un cas récent en France...)
La lutte sera encore longue.